Le Bubishi est l’un des plus anciens manuels d’arts martiaux ayant survécu jusqu’à nous. D’origine chinoise, transmis à Okinawa au XIXᵉ siècle, il a inspiré les fondateurs du karaté moderne comme Chōjun Miyagi (Goju-ryu), Kenwa Mabuni (Shitō-ryu) ou Gichin Funakoshi (Shotokan).
Son contenu mêle philosophie, stratégie, médecine traditionnelle et surtout techniques de combat. Ces dernières sont décrites sous forme de 48 diagrammes, sortes de scènes stylisées illustrant des affrontements à courte distance.
Le Bubishi n’est donc pas un simple recueil de coups : c’est un traité global sur la science du combat.
Les 48 figures du Bubishi présentent des combats rapprochés, souvent entre deux pratiquants en tenue chinoise. Les positions sont naturelles, les gestes courts, et les techniques visent l’efficacité immédiate.
Elles se répartissent en quatre grandes familles :
Les frappes (Atemi-waza)
Les saisies et contrôles (Kansetsu-waza)
Les projections et déséquilibres (Nage-waza / Kuzushi)
Les frappes sur points vitaux (Kyūsho-jutsu)
Ces familles ne sont pas séparées : elles s’enchaînent. Une frappe ouvre la voie à une saisie ; une projection conclut une série de frappes. Le Bubishi prône un combat fluide et intégré.
Les dessins montrent surtout des frappes courtes et ciblées :
poings directs (tsuki),
tranchants de main (shuto),
paumes (teisho),
coudes (empi),
doigts tendus (nukite),
genoux (hiza-geri).
Le Bubishi insiste sur la précision anatomique plutôt que la puissance brute. L’art consiste à frapper une faiblesse : muscle tendu, nerf, articulation, gorge ou plexus.
Ces frappes sont souvent précédées d’un petit pas angulaire (tai sabaki) pour détourner la ligne d’attaque.
Principe central :
« Le sabre court est plus rapide que le sabre long. »
Cela signifie que la victoire ne dépend pas de la longueur du bras, mais de la maîtrise du timing et de la distance.
Exemple classique :
Attaque frontale → pas latéral à 45° → nukite vers le plexus → contrôle du poignet adverse avec la main libre → coup de paume au menton pour déséquilibrer.
Le Bubishi décrit de nombreux points du corps humain où l’énergie (qi, ou ki) circule à fleur de peau. Ces points, frappés avec précision, peuvent provoquer douleur, engourdissement ou perte de force.
Quelques zones fréquemment mentionnées :
Sous le nez (base du septum) → réflexe respiratoire.
Angle de la mâchoire → perte d’équilibre.
Entre clavicule et sternum → choc respiratoire.
Creux axillaire (aisselle) → douleur nerveuse.
Flancs, côtes flottantes → spasmes.
Intérieur de la cuisse → réflexe de pliage.
Le texte évoque parfois des frappes dépendant de l’heure ou de la circulation énergétique, mais dans la pratique martiale moderne, on retient surtout l’aspect anatomique et réflexe.
Ces frappes demandent maîtrise, éthique et contrôle absolu : certaines zones (carotides, tempes, nuque) sont potentiellement létales.
Près de la moitié des figures du Bubishi montrent des prises, torsions et immobilisations.
Elles proviennent de la boxe du Sud de la Chine (notamment le style du Grue Blanche du Fujian).
Principes essentiels :
Kuzushi (déséquilibre) : avant toute clé ou projection, on fait vaciller l’axe de l’adversaire.
Utiliser sa force contre lui : une saisie devient un point d’appui pour retourner son poignet ou son coude.
Transition frappe–contrôle : une frappe brève ouvre toujours la voie à une clé.
Exemple :
Saisie du poignet → rotation circulaire du poignet (extérieur) → traction → déséquilibre vers l’avant → empi au plexus → contrôle au sol.
Les gestes du Bubishi sont simples, souvent exécutés en un seul flux, sans séparation entre attaque et défense. Le but est la neutralisation, non la démonstration.
Les projections du Bubishi ne ressemblent pas à celles du judo moderne : elles sont plus proches de balayages, de croche-pieds, ou de bascules rapides à partir d’un déséquilibre créé par frappe ou traction.
Quelques types observés :
Balayage du pied avant (ashi-barai) : pour interrompre l’avancée d’un adversaire.
Crochetage de jambe (kake-ashi) : combiné à une poussée d’épaule.
Bascule par pivot du bassin : après avoir saisi la taille ou le col.
Renversement par traction du bras : souvent couplé à un coup de genou.
Ces techniques sont destinées à faire chuter immédiatement l’adversaire, puis à permettre la fuite ou la maîtrise au sol.
Elles soulignent l’importance du combat rapproché dans le karaté originel, bien avant que le sport moderne ne privilégie la distance.
Au-delà des gestes, le Bubishi enseigne une stratégie du combat :
L’angle : ne jamais rester dans l’axe. Chaque action s’accompagne d’un tai sabaki (esquive de 45°).
Le timing (hyōshi) : frapper dans l’instant de vide, quand l’adversaire se découvre.
La respiration (kokyū) : coordonner l’expiration au moment de l’impact.
L’unité du corps (tanden / dantian) : chaque mouvement part du centre, pas des bras.
L’alternance yin-yang : souplesse dans la défense, dureté dans la riposte.
L’intention (zanshin) : toujours prêt à réagir, même après la chute de l’adversaire.
Ces principes traversent les kata anciens comme Naihanchi, Sanchin ou Seisan, dont les mouvements incarnent la philosophie du Bubishi.
Le Bubishi n’explique pas les kata, mais il en est le fondement caché.
Chaque figure du texte peut correspondre à un bunkai (application) d’un mouvement de kata.
Par exemple :
Les frappes simultanées à deux mains évoquent les séquences de Sanchin.
Les clés de bras et projections se retrouvent dans Bassai Dai.
Les frappes en main ouverte rappellent Niseishi et Seipai.
Le pratiquant éclairé peut donc étudier le Bubishi pour comprendre l’esprit originel des kata, avant leur simplification moderne.
Voici quelques drills (exercices) pour intégrer les principes du Bubishi à ton entraînement.
Drill 1 — Frappe courte et précise
Position naturelle (shizentai).
Avancer d’un demi-pas tout en frappant avec la paume (coup sec).
Viser une zone molle (torse ou épaule).
Objectif : fluidité, alignement, respiration.
Drill 2 — Dégagement de saisie
Partenaire saisit ton poignet.
Rotation externe + pas latéral + frappe courte au coude → traction → contrôle.
Objectif : continuité entre défense et contre.
Drill 3 — Balayage / projection
Partenaire attaque en tsuki.
Esquive à 45° + blocage + saisie du bras + balayage du pied avant.
Objectif : apprendre le déséquilibre naturel (kuzushi).
Drill 4 — Kyūsho contrôlé
Utiliser la paume, pas les doigts.
Frapper doucement les flancs, épaules, ou muscles latéraux pour sentir la justesse du point.
Jamais de frappe sur le cou, la tête ou la colonne.
Le Bubishi est un texte de guerriers éclairés, pas de violents.
Il enseigne que la maîtrise véritable consiste à vaincre sans blesser inutilement.
Certaines frappes et points vitaux sont dangereux, voire mortels : il faut les comprendre, non les utiliser à la légère.
Dans l’esprit du Bubishi, la connaissance donne la responsabilité — pas le droit d’abuser.
Le texte conclut sur l’équilibre entre le combat et la guérison :
« Celui qui détruit doit savoir réparer. »
Ainsi, aux côtés des 48 figures de combat, le Bubishi contient des recettes médicinales : onguents pour les muscles, décoctions pour les contusions, traitements pour les fractures.
Le guerrier complet, selon le Bubishi, est à la fois médecin et combattant, yin et yang, sabre et aiguille.
Le Bubishi n’est pas seulement une archive ancienne : c’est une porte vers la compréhension profonde du karaté.
Ses techniques — simples, directes, puissantes — montrent que le combat n’est pas affaire de force, mais d’équilibre, de stratégie et d’esprit.
Chaque frappe, chaque clé, chaque pas y exprime un principe universel :
La vraie victoire est celle de l’esprit sur la peur.

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