Le Bubishi
Introduction
Le Bubishi, souvent qualifié de « Bible du Karaté », représente l'un des artefacts les plus énigmatiques et précieux de l'histoire des arts martiaux okinawaïens. Ce manuel anonyme, compilé sous forme de manuscrits manuscrits, n'est pas un ouvrage unique et cohérent, mais une anthologie fragmentaire de textes chinois anciens adaptés au contexte okinawaïen. Écrit en chinois classique mêlé de dialecte minnan du Fujian, il fusionne des éléments de boxe de la Grue Blanche (Baihe Quan), de la Boxe du Moine (Luohan Quan), de la Boxe du Tigre et d'autres styles du Sud de la Chine. Pour les experts en karaté koryu et en quanfa, le Bubishi transcende le simple recueil technique : il incarne une philosophie holistique où combat, médecine, éthique et développement corporel s'entrelacent, révélant le karaté comme un tode-jutsu civil, pragmatique et secret, loin des mythes romantiques post-1930.
Son étude exige une approche critique, car les manuscrits varient en contenu, ordre et illustrations, reflétant des copies manuelles réalisées par des maîtres lettrés entre les années 1880 et 1930. Patrick McCarthy, dans sa traduction exhaustive de 2016, en dénombre jusqu'à 53 articles, organisés en quatre parties principales : histoire et philosophie, médecine chinoise, points vitaux et techniques de combat. Ce texte nous invite à redécouvrir le karaté pré-1900 comme un système éclectique de self-défense urbaine, opposé à toute glorification sportive ou militaire.
Origines Historiques et Provenance
Les racines du Bubishi plongent dans le Fujian du XIXe siècle, époque de troubles où les arts martiaux du Sud de la Chine – influencés par le mouvement d'auto-renforcement face aux puissances occidentales – se popularisent sous forme de « carnets de bronze » (Tongren Ji), mélangeant techniques martiales et thérapeutiques pour les médecins-errants. La légende fondatrice, narrée dans l'article 27, met en scène Fang Jiniang, fille d'un maître de Boxe du Moine, qui, après la trahison et le meurtre de son père, s'allie à Zheng Chisu, expert en Boxe du Tigre. Leur duel mythique démontre la supériorité de la Grue (mouvements circulaires, feintes, frappes aux points vitaux) sur le Tigre (force linéaire brute). Leur union alchimique – Yin (Grue, Ju) et Yang (Tigre, Go) – forge un système invincible, symbolisé par trois ans d'entraînement au Paipuren (Sanchin).
Importé à Okinawa via les échanges commerciaux ryukyuens avec Fuzhou, le Bubishi émerge dans les cercles pechin (classe noble guerrière) vers 1828, lié à une école mystérieuse de Naha impliquant Sakiyama, Aragaki Seisho et Kojo Taitei. Go Kenki (Wu Xiangui), maître de Grue Blanche immigré à Naha dans les années 1920, joue un rôle pivotal : ami et instructeur de Chojun Miyagi, Kenwa Mabuni et Juhatsu Kyoda, il fournit des katas comme Nepai (Nipaipo) et authentifie les textes chinois. Les plus anciens manuscrits subsistants datent des années 1930, mais la tradition textuelle remonte aux années 1880, avec des destructions lors de la Bataille d'Okinawa.
Des maîtres comme Miyagi (fondateur du Goju-ryu), Mabuni (Shito-ryu), Funakoshi (Shotokan) et Yamaguchi possédaient des copies, les transmettant oralement à des disciples d'élite. Miyagi tire le nom « Goju » des Huit Préceptes du Quanfa (article sur l'inspiration comme Ju et l'expiration comme Go), et adapte Tensho d'un kata Grue similaire à Kakufa. Tatsuo Shimabuku (Isshinryu) en fait son code éthique via les Huit Poèmes du Poing.
Structure et Contenu : Une Déconstruction Experte
Le Bubishi se déploie en une mosaïque non linéaire, sans préface ni index, conçue comme un aide-mémoire pour initiés. McCarthy le divise ainsi :
1. Histoire, Philosophie et Stratégie
Les premiers articles tracent la généalogie des styles : Grue Blanche, Moine, Singe Blanc, Tigre et Ivrogne. Les Huit Préceptes insistent sur l'harmonie Yin-Yang, le zanshin (esprit résolu) et l'adaptabilité : « L'inspiration est la mère de la force, l'expiration le père ». Les Huit Poèmes du Poing – mantra poétique – guident l'éthique : maniabilité du corps comme l'eau, souffle comme le vent, esprit comme le vide.
2. Médecine Traditionnelle Chinoise et Points Vitaux (Kyusho)
Une moitié du texte est médicale, liant combat et guérison. Basé sur la théorie Shichen (cycle de 12 périodes bi-heureuses en 24h), il cartographie les flux d'énergie organique, rendant les points vulnérables à heures précises (ex. : foie à 1-3h). Les 36 kyusho (symbolique, non exhaustif) – yeux, gorge, carotides, testicules, foie – se frappent pour douleur immédiate, paralysie ou Dim Mak (toucher mortel différé). Diagrammes illustrent méridiens et remèdes herbals (moxa, décoctions). Attention experte : ces sections sont superstitieuses et dangereuses ; privilégiez la premiers secours modernes. Elles révèlent le karaté comme art civil : traiter blessures d'ivrognes ou rixes de rue.
3. Techniques Fondamentales et Conditionnement
- Rokishu : Six positions de mains ouvertes (shuto, teisho, nukite), basiques mais essentielles pour éviter blessures aux poings.
- Entraînement musculaire/os : Postures Shaolin pour rooting (enracinement) et explosions de puissance.
- Grappling et Évasions (article 16) : Locks articulaires (poignets, coudes, genoux), projections (osoto gari, tomoe nage), chokes.
4. Les 48 Diagrammes de Self-Défense : Le Cœur Technique
Trésor absolu (article 29), ces 48 illustrations séquentielles opposent deux combattants, montrant victoires/défaites avec synopsis stratégique. Analyse bunkai :
- 39% boxe (frappes : seiken, kentsui, elbows ; nukite aux yeux/gorge).
- 29% projections/évasions.
- 17% soumissions/locks.
- 4% kicks (avant/mae-geri loose, secondaires ; kicks ennemis causent souvent leur perte).
- 11% divers (coups de genou, saisies testiculaires).
Ces séquences codifient le bunkai secret de katas koryu :
- Seipai : Figures 11,13,20,40,43.
- Seisan : 26 (Goju), 27 (Pangai Noon).
- Kururunfa : 39,18.
- Suparinpei : Dernier mouvement (16), 46.
- Shisochin : 42.
- Kusanku : 14,8.
Principes : maai (distance), tenshin (changement corporel), feintes, kime létal. Open-hands dominent (shuto, kakushiken) pour tuite (saisies destructrices).
5. Katas et Formes
Descriptions lyriques de Hakutsuru (Grue), Useishi/Niseishi (36/24 pas), Nepai, et quatre du Rakkan Ken. Paipuren/Sanchin : Fondamental pour tanden-kikō (respiration abdominale), posture droite, rooting. Symbolise Tigre (accumulation), Grue (direction), Dragon (expulsion).
Influence sur le Karaté Moderne et Analyse Critique
Le Bubishi légitime la réforme du karaté : Miyagi révise katas Naha-te via ses 48 techniques ; Mabuni publie 28 diagrammes en 1934. Il révèle le tode-jutsu pré-1900 comme art civil contre rixes quotidiennes (poignées, bourrades, cheveux tirés), non samouraïs armés. Critique : Mythes (kyusho magiques) masquent efficacité pragmatique ; grappling (absent du karaté sportif) préfigure MMA. Innovations constantes : « Ne suivez pas aveuglément les anciens, cherchez ce qu'ils cherchaient ».
Pour experts : Étudiez bunkai via diagrammes pour revivifier katas ; intégrez tuite/grappling en randori ; contextualisez Shichen comme métaphore rythmique.
Conclusion
Le Bubishi n'est pas un reliquat figé, mais un vivant carnet d'alchimie martiale, reliant Chine du Sud à Okinawa. Pour l'expert, il commande une réévaluation : du karaté comme self-défense holistique, alliant Go et Ju, corps et esprit. En 2025, face à l'hégémonie sportive, il rappelle l'essence : efficacité impitoyable, éthique inflexible, évolution perpétuelle. Plongez-y ; il transformera votre pratique.
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