Les balayages (足払い – ashi-barai ou ashi-harai) occupent une place essentielle dans le Bubishi, même si le texte ancien ne les décrit pas sous leur appellation moderne.
Ils apparaissent à plusieurs reprises dans les techniques numérotées, sous la forme de déséquilibres dynamiques issus du tuite (saisies), de rotations du bassin ou de dégagements de jambe.
Voici une explication complète et précise de leur rôle et de leur logique dans l’esprit du Bubishi.
Dans le Bubishi, les balayages ne sont jamais isolés : ils font toujours partie d’un enchaînement de déséquilibre global, combinant traction (hikite), rotation (mawashi) et chute (otoshi).
On ne « frappe » pas la jambe comme en compétition moderne ; on l’efface de la trajectoire du corps d’uke.
L’idée est de voler l’appui au moment exact où l’adversaire transfère son poids.
C’est une application parfaite du principe :
「虚実の理」(Kyo-jitsu no ri) — “La vacuité et la plénitude.”
On frappe là où l’énergie quitte, on balaie là où le poids se pose.
- Soto ashi-barai – Balayage extérieur
Ce balayage apparaît dans plusieurs dessins attribués aux techniques 12 et 14 du Bubishi chinois.
Il s’exécute lorsque l’adversaire avance :
Tori pivote légèrement en hanmi (profil) ;
Le pied avant trace un arc de cercle de l’extérieur vers l’intérieur, frappant la jambe d’appui d’uke au niveau du mollet ou de la cheville ;
Simultanément, les mains tirent vers l’arrière (principe du hikite) pour amplifier le déséquilibre.
Principe : la jambe agit comme une faucille (kama). La hanche reste souple et la puissance vient de la rotation du centre, pas du coup de pied.
- Uchi ashi-barai – Balayage intérieur
Utilisé quand uke recule ou se défend, souvent combiné à une clé ou une projection avant.
Le défenseur entre en diagonale ;
Sa jambe avant passe à l’intérieur de celle d’uke, et le pied vient frapper ou pousser la cheville intérieure ;
En même temps, tori pousse uke par les épaules ou tire son bras.
Ce balayage illustre la complémentarité yin-yang : la jambe ouvre pendant que les mains ferment.
C’est une technique de contrôle et de projection, très proche du o-soto-gari du judo, mais plus courte et sans levée.
- Harai otoshi – Balayage descendant avec rotation
Celui-ci est plus subtil, proche d’un tai sabaki circulaire.
Il consiste à accompagner uke dans sa chute en abaissant le centre de gravité :
Tori tourne le buste tout en descendant ;
Le pied arrière passe derrière la jambe d’appui d’uke et l’efface vers l’extérieur ;
Le haut du corps tire ou frappe pour maintenir la direction du déséquilibre.
On en retrouve la trace dans certaines planches du Bubishi où le combattant plie les jambes et garde uke suspendu, souvent avant une frappe finale.
Principe énergétique : chin (沈) – l’énergie descendante. Le corps s’enracine tandis que l’autre perd son sol.
Les balayages reposent sur une lecture du rythme corporel d’uke :
Observation du transfert de poids ;
Création du vide par esquive ou traction ;
Effacement de l’appui avec une rotation du bassin.
Le Bubishi exprime cela par des idéogrammes liés au vent, à l’eau et à la lune — symboles du mouvement fluide et du changement permanent.
"L’eau ne lutte pas contre la pierre. Elle la contourne et l’emporte."
Ainsi, un balayage bien réalisé est silencieux : il ne s’oppose jamais, il absorbe.
Quelques situations typiques décrites dans les versions annotées :
Sur saisie du col : tori tire uke vers lui, glisse la jambe extérieure et le renverse en spirale.
Sur coup direct : esquive en diagonale, capture du bras et balayage dans la direction du poing.
Sur poussée : absorption arrière, rotation et effacement de la jambe d’appui adverse.
Certains maîtres d’Okinawa enseignent que ces balayages viennent directement du White Crane (Grue Blanche) du Fujian, transmis par les dessins chinois du Bubishi.
Ils les considèrent comme la racine du tai sabaki dans les kata anciens.
Le balayage n’est pas un acte brutal : c’est une danse martiale où la force devient subtile.
Il exprime la sagesse de la nature — la tempête qui renverse sans effort apparent.
En karaté, on le retrouve dans des kata comme Kushanku, Gankaku ou Naihanchi, où l’équilibre et le déséquilibre alternent comme l’inspiration et l’expiration.

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